“Pal hon strollad a zo bountañ ar re Vouzar da vezañ kiriek, da gemer perzh en emvodoù, da lakaat o gwir da gaout ur jubennour da dalvezout (...)” | #GBB2017
Un atelier sera proposé le 20 mai à Langonnet dans le cadre de la Fête de la langue bretonne, Gouel broadel ar brezhoneg 2017, sur la culture et la lutte des Sourds. Entretien avec Laëtitia Morvan, porte-parole du Collectif des Sourds du Finistère.
Ya! : Laëtitia, quels points communs vois-tu entre la situation et la lutte des Sourds et des Bretons pour leur langue et leur culture ?
Laëtitia Morvan : Les situations des militants bretons et des Sourds sont très proches. Leur « réveil » a eu lieu à la même période. En effet, cette année, fin août, aura lieu les 40 ans du Festival de Cinéma de Douarnenez mais également, début mai, les 40 ans de l’IVT [International Visual Theatre] à Paris.
Pendant très longtemps, les Sourds étaient cachés, obligés d’organiser activités, compétitions, échanges, exclusivement au sein de leurs associations. Puis un sociologue Bernard Mottez s’est rendu compte que cette communauté avait sa propre langue, sa propre culture. Les Sourds n’avaient pas conscience de cela.
L’IVT a été créé grâce à un comédien sourd et un interprète américain, qui ont organisé des ateliers de théâtre en exhortant les Sourds à participer, en leur disant qu’ils pouvaient être comédiens. C’est à ce moment-là que certains Sourds se sont rendus compte qu’ils pouvaient faire du théâtre. Ils ont été particulièrement troublés par cette découverte et par le fait de montrer leurs pièces à des entendants. Ils ont pris conscience qu’ils étaient « capables », et ont découvert énormément de choses.
La Bretagne étant une petite région, la culture bretonne a réussi à bien progresser. En comparaison, à l’échelle de la France, le développement de la culture sourde est lent. De plus, il existe très peu de classes bilingues pour les enfants sourds (à peine 5% de l’enseignement).
Depuis 10 ans, les Sourds voient leur communication s’améliorer grâce aux nouvelles technologies. La communication par webcam permet de diffuser l’information, de s’exprimer librement, de diffuser de l’humour, etc. La situation s’améliore donc à ce niveau aujourd’hui. Mais il reste encore de gros progrès à faire. De nombreux Sourds ne sont toujours pas au clair avec leur identité, ils n’ont pas suffisamment accès à des formations, pour leur permettre de découvrir de nouvelles choses et de s’épanouir.
Ce retard de la communauté sourde est également dû à l’échec de l’éducation oraliste. Côté milieu médical, les avancées sont très rapides. On laisse les parents croire que leur enfant oralisera mieux s’il est appareillé ou implanté. Cette attitude entraine un manque de lien affectif entre parents et enfants, un manque d’éducation.
Ya! : Quelles sont les revendications du CDSF [Collectif des Sourds du Finistère] ?
L.M : Le CDSF a fêté ses dix ans en 2016. C’est quelque chose de rare en Bretagne. Des Sourds et des entendants qui se sont responsabilisés pour mener à bien des projets, des actions, … L’équipe du CDSF participe à la société entendante pour développer des relations. Par le passé, les personnes sourdes laissaient les entendants faire à leur place, maintenant les choses ont changé. La philosophie du CDSF est d’exhorter les Sourds à être représentants, à participer aux réunions, à faire valoir leur droit à la présence d’interprètes. Bien sûr, cela n’exclue pas la possibilité de travailler en « binôme » avec des entendants.
Dans le Finistère, le CDSF avait un projet de création de service d’interprètes. Par le passé, il n’y avait pas d’interprètes et les sourds étaient bloqués dans leurs démarches. Ils étaient obligés de laisser les entendants les remplacer. Puis un groupe s’est réuni pour monter un projet, et obtenir l’accord du Conseil général pour l’ouverture de ce service en 2011. La présence des interprètes a permis aux Sourds d’obtenir une meilleure accessibilité. Ils peuvent faire appel aux interprètes dans leur vie quotidienne, dans leur vie professionnelle, dans les associations « d’entendants », etc. Cela a considérablement amélioré leur situation. Les Sourds ont senti un changement, qu’ils pouvaient se responsabiliser, entreprendre des choses.
Ya! : Dans une société utilitariste, on demande souvent à quoi sert la langue bretonne. Que répondez-vous lorsqu’on vous demande ce que la culture sourde et la langue des signes peut apporter aux entendants ?
L.M : Il est vrai qu’autrefois, la situation était bien différente : les Sourds avaient peur du regard des entendants, peur que l’on se moque d’eux, qu’on les prenne pour des singes avec leurs mouvements corporels. Puis, en 1993, Emmanuelle Laborit, comédienne sourde, a reçu un prix théâtral Molière. À partir de là, les Sourds ont commencé à se « montrer » à la société entendante. Les gens ont pris conscience de ce qu’était la LSF [Langue des signes française], ont découvert que c’était une langue vivante. Progressivement, les entendants qui observaient cette langue ont commencé à dire aux Sourds que c’était une langue magnifique, que la communication avec les mains était quelque chose d’incroyable. Les discours positifs se sont développés.
Mais, en toile de fond, perdure un conflit entre la linguistique, l’accessibilité en LSF qui permet une compréhension et un enrichissement et le milieu médical, dans lequel les progrès concernant les appareillages et les implants sont notoires, qui préconise des dépistages précoces. C’est un conflit endémique et le milieu médical n’a pas conscience qu’il existe une culture, une identité sourde.
Publié par Divi Kerneis dans le journal hebdomadaire en langue bretonne Ya!
Un autre article à lire : “Tud Vouzar e kounnar” (en breton)